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vendredi 30 mars 2018

[Actualité] Nouvelles prigentiennes

AGENDA

 A Binic : le samedi 31 mars et le dimanche 1er avril, au Festival « Les Escales », 2 Quai de Courcy, 22520-Binic (secretariatdesescales@gmail.com). Signature, lecture, discussion.

Samedi 07 avril, à 18 h, à la Maison de la Poésie de Paris, 157 Rue Saint-Martin, 75003 Paris (01 44 54 53 00). Autour de Christian Prigent, Trou(v)er sa langue, actes du colloque de Cerisy « Christian Prigent ». Table ronde avec Alain Frontier, Bénédicte Gorrillot, Christophe Kantcheff, Fabrice Thumerel. Lectures avec Vanda Benes et Charles Pennequin. Réservation : ici.

Avant des lectures détonantes, la soirée débutera par une table ronde où, en synergie avec Christian Prigent, quelques participants au volume collectif issu du colloque de Cerisy aborderont de façon inattendue l’œuvre majeure de cet escripteur qui troue le mur des discours dominants qu’on appelle « réalité », ce Moderne carnavalesque à la sauce TXT qui dégèle Rabelais pour parler caca, ce sexcriveur qui aime taquiner un Eros cosmicomique...

18h - Table-ronde avec Alain Frontier, Bénédicte Gorrillot, Christophe Kantcheff, Christian Prigent & Fabrice Thumerel
20h - Lectures de Charles Pennequin et du duo Christian Prigent & Vanda Benes
    
À lire - Bénédicte Gorrillot et Fabrice Thumerel dir., Christian Prigent : trou(v)er sa langue, Hermann, 2017.
Christian Prigent, Ça tourne. Notes de régie [Carnets de Grand-mère Quéquette, Demain je meurs et de Météo des plages], éditions de l'Ollave, 2017.
- Chino aime le sport, P.O.L, 2017.
Charles Pennequin, Les Exozomes, P.O.L., 2016.



A Caen : le samedi 14 avril à 17 h, à l’Artothèque, Palais Ducal, Impasse Duc Rollon, 14000-Caen (02 31 85 69 73). Lecture et discussion. Avec Vanda Benes.

Publications
↳"Indésirables" (sonnets), dans les quatre derniers numéros de la revue en ligne Catastrophes.
↳"Chino en mai" : sur Sitaudis, un extrait inédit du Journal de Prigent sur mai 68 qui ne manque pas de piment...
↳ Fin mai 2018, TXT renaît de ses cendres pour un nouveau numéro, le 32e de la collection : sur les 800 exemplaires, beaucoup sont déjà réservés... Il est donc temps de commander en utilisant le bon de commande ci-dessous. Et le 33e numéro est déjà sur les rails !
↳ Christian Prigent, Ça tourne. Notes de régie, éditions de l'Ollave, coll. "Préoccupations", 2017, 70 pages, 14 €.

Ce volume qui emprunte son titre et son sous-titre au cinéma reprend les extraits des Carnets de Grand-mère Quéquette et de Demain je meurs qui avaient d'abord été publiés sur ce blog. La belle édition que propose L'ollave ajoute ceux de Météo des plages. De cinéma il est bel et bien question :

Bresson : "ce qui est beau au cinéma, ce sont les raccords, c'est par les joints que pénètre le cinéma".
Je démarque : ce qui est beau en poésie, ce sont les raccords/rimes, c'est par les joints que pénètre le poétique (le mouvement, le rythme).


On y trouve par ailleurs ce genre de confidence : "Un monde inouï est en instance d'épiphanie dans l'effort au style. Je n'aurai jamais rien écrit qui ne guette cette épiphanie et ne s'efforce de créer les conditions de son effectuation. Rien écrit, ni même, d'ailleurs, rien... vécu" (p. 55).

↳ "La Poésie sur place", entretien de Christian Prigent avec Olivier Penot-Lacassagne, dans Olivier Penot-Lacassagne & Gaëlle Théval dir., Poésie & performance, éditions Cécile Defaut, janvier 2018, p. 175-187.

Avant tout on retiendra l'analyse de son positionnement dans l'espace des possibles des années 80 (la sociologie bourdieusienne a laissé des traces) : il fallait au jeune poète se démarquer de la performance non verbale, de "l'horizon naturaliste des poètes sonores", de "l'expressionnisme des poètes beatnicks" et de Bernard Heidsieck. Suit sa propre conception de la performance : "Si le public assiste à quelque chose, c'est à un combat d'intensités dans les mots liés, déliés et re-liés par des articulations dynamisées. [...] le surgissement des significations dans la violence du combat des phrases (syntaxes, scènes) et des phrasés (respirations, portées rythmiques et sonores) est pour lui mis en scène, effectué sur place : voilà ce que j'entends par "performance" " (p. 185).

↳ "Comme un éclair dans un ciel fané", entretien de Christian Prigent avec Olivier Penot-Lacassagne, dans O. Penot-Lacassagne dir., Beat generation. L'inservitude volontaire, CNRS éditions, mars 2018, p. 293-301.

N'appréciant pas tout le folklore autour des beatnicks, Christian Prigent insiste sur la révélation que
fut pour lui la découverte de Ginsberg à vingt ans : "C'est beaucoup plus difficile de faire de la poésie avec des contenus et un lexique non a priori "poétiques". Mais c'est aussi une chance de faire plus juste (vrai) et plus frais (neuf). La poésie des Beats, c'était cela qu'elle faisait. Pas seulement parce qu'il y avait des obscénités, des trivialités blasphématoires et des déclarations transgressives, mais parce que cette poésie mettait à bas l'idéalisation congénitale du processus poétique" (p. 296). De Burroughs il retient le fameux cut-up (découpage-montage-collage) et la sortie du style comme originalité du créateur.
Mais il finira par trouver leur poétique trop lyrique.



jeudi 1 juin 2017

Bénédicte Gorrillot et Fabrice Thumerel dir., Christian Prigent : trou(v)er sa langue

La photo collective lors du Colloque de Cerisy Prigent (1-7 juillet 2014)



Bénédicte Gorrillot et Fabrice Thumerel dir., Christian Prigent : trou(v)er sa langue. Avec des inédits de Christian Prigent (Actes du Colloque international de Cerisy), Paris, Hermann, collection "Littérature", mai 2017, 556 pages, 34 €, ISBN : 978-2-7056-94-10-4.

Présentation 


Depuis 1969 où il fait paraître son premier livre, La Belle Journée, Christian Prigent s’est fait un nom si bien que, quelques soixante deux livres plus tard et deux cents textes publiés hors volume, il est maintenant reconnu comme l’une des voix majeures de la création littéraire (notamment poétique) contemporaine des quarante dernières années. Aucun colloque ne lui avait été consacré en propre jusqu’à celui organisé en 2014 au Centre Culturel International de Cerisy-la-Salle. Ce volume a réparé ce manque et constitue par ce fait même un ouvrage totalement original et immédiatement charnière pour l’approche de ce créateur.
Ouvrage charnière, en effet, car animé par un double objectif. Il s’agissait d’abord, en
rassemblant les meilleurs spécialistes de cet écrivain, de dresser une premier bilan sur les recherches déjà engagées, surtout à partir des années 1985-1990, et portant sur quarante-cinq ans d’écriture, que la réflexion ait concerné Christian Prigent en tant qu’auteur d’une œuvre personnelle protéiforme expérimentant tous les domaines (poésie, essai, roman, théâtre, entretien, traduction, chronique journalistique, lecture de ses textes) et dont il a su déplacer les frontières, mais aussi en tant que revuiste passionnée, lié à un grand nombre de livraisons poétiques, théoriques, artistiques, et ayant lui-même co-fondé la revue d’avant-garde TXT (1969-1993), avec la volonté de démarquer un espace éditorial différentiel par rapport à Tel Quel. Le fil conducteur de la langue, tant ouvertement réfléchie par l’écrivain dans ses essais ou ses fictions, récits et poèmes, s’imposait. L’autre objectif était d’ouvrir de nouveaux champs de recherche et d’infléchir vers des nouvelles directions une réception qui jusqu’à présent était restée trop soumise à la force de théorisation auctoriale de Prigent et dont il n’est pas si facile de s’émanciper, tant les formulations sont solides – on pense au prisme des lectures maoïsto-lacano-Bakhtiniennes très développées par l’auteur dans ses essais réflexifs, en particulier d’avant 1990, et dont il s’émancipe lui-même progressivement depuis quelques années.

Ouvrage original donc : par la première collection aussi importante d’études consacrées à
Judith Prigent, "Christian Prigent de face"
l’auteur. Mais ouvrage original aussi par sa facture plurivocale délibérée. En effet, les interventions d’écrivains – de l’auteur même et de ses amis de TXT présents au colloque – dialoguent avec les entretiens d’artistes (acteurs, cinéaste, peintre) et avec les interventions de journalistes et d’universitaires français et étrangers du monde entier (États-Unis, Japon, Brésil notamment), tous spécialistes du champ littéraire extrême contemporain, commentateurs de longue date de Christian Prigent ou voix critiques plus récents. Les genres sont mêlés (inédits d’écrivains, entretiens, essais et communications universitaires) comme les supports (textes, dessins, photogrammes) à l’image de la convivialité et de la mixité qui a été celle du colloque et qui transparaît à l’état vif, en particulier dans les « entretiens ».

Enfin cet ouvrage se distingue par l’implication forte de Christian Prigent, présent durant tout le colloque et à nouveau ici par les archives, textes et dessins inédits donnés en première publication.



Petit florilège


Bénédicte Gorrillot : « Peut-être faut-il privilégier "langue" aux plus abstraits "langage", "discours" ou logos, pour aborder l'œuvre de Christian Prigent, parce que sa/ses lingua(e) (dérivée(s) de lingo) s'acharne(nt) à lécher le corps sensuel du réel, essaie(nt) d'en arracher un peu de chair (de présence), par les mots sortis de la bouche..., sans être pour autant réductible à la seule lalangue lacanienne - ce "bouillon" de matière sonore transmis par la mère [...] » (p. 26-27)

Fabrice Thumerel : "En milieu prigentien, le réel-point zéro a pour nom Dieu, Nature ou corps : innommable, le réel n'existe qu'en langue (réel-en-langue) ; inatteignable, ce point zéro rend paradoxal tout réalisme – l'objectif visé se dérobant sans cesse (et c'est ce ratage même qui constitue l'écriture). Ce réel-point zéro est le point d’asymptote non seulement entre art et réalité, mais encore et surtout entre prose et poésie [...].
Ce réel-point zéro est ainsi le point d’intersection entre l’axe syntagmatique – celui du récit linéaire, de la figuration, de la coagulation du sens par référence à des réalités psychologiques, historiques et socioculturelles – et l’axe paradigmatique – celui, poétique, de la dé-figuration, des choix lexicaux et rythmiques, des associations libres, des jeux de signifiés et de signifiants" (p. 146).

Christian Prigent : "Réel : non-savoir, il-limité.
Réalité : savoir, limité.
Écrire : sous la poussée du non-savoir - pour il-limiter la limite.
Ce qu'écrire représente (n')est (que) le il de l'illimité, le in, la négation (la destruction du déjà-écrit)" (p. 473).

Dominique Brancher : "Chez Rabelais comme chez Prigent, la soufflerie textuelle polyphonique, en boyau de cochon, raille la pompe des grandes orgues littéraires.
Le carnaval s’y dénonce comme un masque antigel, en perpétuelle mutation. Le « parlé caca » fait glisser la langue de l’énonciateur mais aussi celle de l’interprète, forcé d’interpréter à plus bas sens, et le parler cochon tourne infatigablement autour du trou, sans jamais faire mouche" (p. 244).

Nathalie Quintane :

"La génération de 90 reprend plus ou moins ce bilan de fin de partie à son compte : pas de souveraineté de la littérature, nécessité de défaire cette sacralité, etc. Comme Prigent le rappelle, la littérature ne se confond pas avec les discours ambiants, mais découpe et prélève dans ces discours (cf. le retour du cut up et ses diverses déclinaisons en termes de « sampling/virus »), produisant des effets d'hétérogénéité, d'étrangement, à l'intérieur même de ces discours.

Ce qui est sûr, c'est que cet hétérogène-là n'est pas exception (« grandes irrégularités ») et ne s’oppose pas par définition à la société démocratique moderne. Il s'y reconnaît en la reconnaissant comme contexte, ce qui ne signifie pas qu'il l'accepte sans critique – ni qu'il (n')en fait, se faisant, la critique.

Non seulement, donc, il n'y a plus d'exception littéraire, mais il faut sortir de la littérature, ou de la « poésie ». Or, si la littérature/poésie se confond avec les « grandes irrégularités de langue », avec langagement, alors Prigent produit plutôt un effort continu pour ne pas en sortir (qui comprend la
Prigent, "Verheggen en Phébus"
difficulté d'y rester)" (p. 312).

▶ Christian Prigent : "Extraits de lettres à Jean-Pierre Verheggen"

Vraiment bien "touillé" le montage commenté par Jean-Pierre Verheggen !
On retiendra, entre autres, la lucidité du directeur de TXT : "Attention à l'installation dans un langage carambolesque qui (lui aussi) peut tourner au poncif" (p. 344).
Et l'humour, un peu caustique ici car il ne s'agit pas de donner dans le Change : « Change devient la NRF de l'"avant-garde" ; une poubelle en polystyrène au lieu d'une corbeille en inox, c'est tout » (p. 353).

Table des matières


Avant-propos, par Bénédicte Gorrillot et Fabrice Thumerel
Bénédicte GORRILLOT : Pour ouvrir


Chapitre I Chanter en charabias (ou trou-vailler "la faiblesse des formes")
Laurent FOURCAUT : Dum pendet filius : Peloter la langue pour se la farcir maternelle
Jean RENAUD : La matière syllabique
Tristan HORDÉ : Christian Prigent et le vers sens dessus dessous
Bénédicte GORRILLOT, Christian PRIGENT : Prigent/ Martial : trou(v)er le traduire
Marcelo JACQUES DE MORAES : Trou(v)er sa langue par la langue de l’autre : en traduisant Christian Prigent en brésilien
Jean-Pierre BOBILLOT : La « voix-de-l’écrit » : une spécificité médiopoétique ou Comment (de) la langu’ se colletant à/avec du réel trou(v)e à se manifester dans un mo(t)ment de réalité

Chapitre II. L'Affrontement au réel "des langues-en-corps"
Fabrice THUMEREL : Réel : point Prigent. (Le réalisme critique dans la « matière de Bretagne »)
Philippe BOUTIBONNES : Et hop ! Une, deux, trois, d’autres et toutes
Philippe MET : Porno-Prigent, ou la langue à la chatte
Jean-Claude PINSON : Éros cosmicomique
Éric CLÉMENS : La danse des morts du conteur

Chapitre III. "Le Bâti des langues" traversées

Dominique BRANCHER : Dégeler Rabelais. Mouches à viande, mouches à langue
Chantal LAPEYRE-DESMAISON : Ratages et merveilles : le geste baroque de Christian Prigent
Hugues MARCHAL : Une sente sinueuse et ardue : les sciences dans Les Enfances Chino
Éric AVOCAT : La démocratie poétique de Christian Prigent. Tumultes et mouvements divers à l’assemblée des mots
Nathalie QUINTANE : Prigent/Bataille et la « génération de 90 »
Olivier PENOT-LACASSAGNE : La fiction de la littérature
David CHRISTOFFEL : Les popottes à Cricri

Chapitre IV. De TXT à l’archive : l’interlocution contemporaine des langues-Prigent
Jean-Pierre VERHEGGEN : Le bien touillé (extraits de lettres de Christian Prigent à Jean-Pierre Verheggen, 1969/1989)   
Jacques DEMARCQ : « Prigentation d’Œuf-glotte »
Alain FRONTIER : Comment j’ai connu Christian Prigent
Christophe KANTCHEFF : Le trou de la critique. Sur la réception de l’œuvre de Christian Prigent dans la presse  
Typhaine GARNIER : L’écrivain aux archives ou le souci des traces
Jean-Marc BOURG, ÉRIC CLÉMENS : Comment parler le Prigent ?
Vanda BENES, Éric CLÉMENS : Pierrot mutin
Ginette LAVIGNE, Élisabeth CARDONNE-ARLYCK : Sur La Belle Journée
Christian PRIGENT : JOURNAL. Décembre 2013/janvier 2014 (extraits)

Postface : fin des « actions » ?, par Bénédicte Gorrillot et Fabrice Thumerel
Bibliographie générale
Les auteurs
Table des illustrations

jeudi 4 juin 2015

[Actualités] Le désir de littérature avec Christian Prigent, par Bénédicte Gorrillot et Fabrice Thumerel

"Le désir de littérature, en somme"


Retour sur "Le désir de littérature, en somme" (soirée Remue.net à la Maison de la poésie Paris animée par Bénédicte Gorrillot et Fabrice Thumerel, autour de Christian Prigent et de Bruno Fern, vendredi 22 mai 2015, de 20H à 22H) : vidéos de Vanda Benes. Les extraits vidéos des lectures et dialogues sont accompagnés de photos (quatre de V. Benes et quatre de Marie-Hélène Dhénin) et de présentations/résumés établis par B. Gorrillot et F. Thumerel. [Intégrale audio à écouter sur Remue.net]



Lectures de Christian PRIGENT :
Extrait 1 ; extrait 2 ; extrait 3 ; extrait 4 ; extrait 5.

Lectures de Bruno FERN :
Extrait 1 ; extrait 2.

Bénédicte Gorrillot lisant Christian Prigent : écouter.

Présentation 
 
Dans sa contribution à l’ouvrage collectif L’Illisibilité en
questions (Bénédicte Gorrillot et Alain Lescart dir., éditions du Septentrion, 2014), "Du sens de l’absence de sens", Christian Prigent opère ainsi la distinction entre le discours philosophique et le discours littéraire :
« L’expérience du sens, on ne la fait pas directement face à la vie qu’on mène mais face aux discours qui nous disent quelque chose de cette vie. Je perçois du sens quand je lis un ouvrage de philosophie, un essai savant, une analyse politique. Et quand je perçois ce sens je perçois généralement aussi ce que son bâti rationnel et la positivité des énoncés qui le construisent ont de décevant. Au moment même où je saisis son sens, je perçois l’inadéquation de ce sens à la façon dont le monde, moi, singulièrement, m’affecte. Autrement dit : la lisibilité du propos me le fait, dans une large mesure, éprouver comme du parler "faux". Et cette épreuve est même sans doute ce qui fait lever en moi le désir d’un autre mode d’approche de la vérité, d’une autre posture d’énonciation, d’un autre traitement des moyens d’expression : le désir de littérature, en somme. »

Cette soirée va avoir pour but d’interroger cette formule : « Le désir de littérature, en somme ».
Portrait par Marie-Hélène Dhénin
Que veut dire Christian Prigent ? Qu’entend-il plus précisément par cette « littérature désirée » ? Est-ce plus clairement un « désir de poésie » ? Et donc qu’est-ce que la littérature (ou la poésie) pour lui ?
Et pourquoi ce « en somme » ? Qu’est-ce que ce « en somme » signale ? Comme synonyme d’un « malgré tout », signale-t-il un pis-aller ? une résistance ? un combat ? des oppositions dont il faut venir à bout ? Quelles sont ces oppositions à la littérature-selon-son-désir ? Comment les explique-t-il ?
Met-il derrière ces mots (« le désir de littérature, en somme »), en 2015, le même contenu qu’il mettait en 2008 à San Diego ? ou en 1989 dans la première publication, chez Cadex, de La Langue et ses monstres (augmenté et réédité en 2014 chez POL) ?
Bref, cette formule titrant notre soirée pose deux questions (intimement mêlées) : qu’est-ce qu’écrire (et faire-littérature) pour Prigent ? comment imposer malgré tout un écho public à cette littérature a priori en opposition à un consensus peu favorable – c’est-à-dire en opposition à un certain public (le grand public) qui brandit vite l’accusation d’illisibilité de cette littérature ?

Pour répondre à toutes ces questions, soulevées par le titre de la rencontre de ce soir, Christian Prigent va dialoguer avec les deux universitaires et critiques que nous sommes, mais aussi avec l’un de ses collègues d’écriture, Bruno Fern, lui aussi confronté à cette question de l’illisibilité poétique, tant comme lecteur d’autres poètes – et notamment de Christian Prigent –, que comme auteur de poèmes.
La présence des deux écrivains va notamment permettre un retour croisé immédiat de lectures : d’un côté, comment B. Fern perçoit-il l’écriture-Prigent et son éventuelle « illisibilité » ? En quoi Prigent pourrait-il être éventuellement « illisible » pour lui ? D’un autre côté, comment C. Prigent perçoit-il l’écriture-Fern ? et quelle serait, pour lui, son éventuelle illisibilité ? De fait, il sera aussi intéressant de voir les réponses personnelles que B. Fern pourra apporter de son côté au double questionnement qui nous occupe : pour lui, « le désir de littérature, quel est-il ? et pourquoi est-il ou serait-il illisible ? Pourquoi aurait-il à lutter pour exister malgré tout ?
Pour éviter des discussions trop abstraites, nous avons choisi de vous faire entendre des pages de nos deux poètes, choisies parce qu’elles posent cette double question de l’idéal littéraire (ou poétique) recherché et d’une résistance à un consensus mortifère pour la littérature.
Ainsi nos moments de réflexions théoriques seront rythmés par des lectures très aimablement réalisées par nos deux créateurs.

Photo de Marie-Hélène Dhénin


Trois interventions de Bénédicte Gorrillot


Quelle est l’illisibilité de L’âme ? Est-ce parce que ce recueil de 2000 incarne de façon peut-être radicale votre définition du « désir de littérature » (« Du sens de l’absence de sens ») ?


Je résume : L’Âme est-il très illisible parce que les poèmes n’y parlent plus du monde ou de
Bénédicte Gorrillot à l'uvre...
l’homme mais uniquement - autoréférentiellement - de l’impossibilité de toute parole juste du monde ou de soi ? Et ce narcissisme linguistique central n’est pas compris comme légitime (c’est-à-dire comme « poétique » ou « novateur ») ou est difficile à déchiffrer entre les lignes ?


A écouter, par contraste avec la page 79 de L'âme (né d’une circonstance érotique), le poème de Météo des plages qui a été lu (extrait de la section « Tentative d’une idylle ») , faut-il penser que Météo des plages (2010) est aussi illisible que L’Âme (2000) ?


Parce que, ici, il semble qu’un récit événementiel (érotique) (bref un signifié extérieur) fasse retour sur le devant de la scène qui appuie (qui facilite ?) le récit autoréférentiel… parce que les effets humoristiques de réécriture parodiques ou carnavalesques (des clichés du cinéma sexy) font oublier l’amertume de la leçon d’impuissance linguistique à dire le vécu érotique… ?



Je reviens au « en somme » : nous l’avons interprété jusqu’ici comme force de résistance (souvent par rupture) au consensus public (au bon goût dominant ou aux modes dominantes) : et le geste littéraire était synonyme de violentement, de bris « des lignes grammaticales », comme disaient Burroughs et les cut-upers américains qui vous ont aussi inspiré à un certain moment de votre écriture.


Mais « en somme » me paraît prévenir d’un rapport plus complexe et plus ambigu du créateur rupteur à la communauté qu’il veut bousculer. « En somme » n’implique-t-il pas aussi un certain art du compromis avec la communauté à bousculer, et il s’agit là d’un art nécessaire ?


Photo de Marie-Hélène Dhénin
Par exemple, le premier compromis ne serait-il pas d’expliquer par des commentaires écrits a posteriori ces pages illisibles ? Pour s’imposer réellement, l’illisibilité, la littérature irrégulière (indigérable, contre les normes) doivent-elles allier à la violence de leur énonciation l’entreprise pédagogique d’explication et doivent-elles accepter la langue normée pour diffuser (pour publier) leur a-normalité ? Je pose cette question à cause de l'alternance entre théorie et pratique : Ecrit au couteau tout comme Commencement sont suivis par leur légitimation dans Ceux qui merdRent et Une erreur de la nature… Bref, peut-il y avoir « publication réelle d’une grande irrégularité de langue » sans théorisation en langue normée de cette irrégularité (ce qui peut sembler un paradoxe) ?



Faut-il s’expliquer ainsi (lien nécessaire de compromis pédagogique avec la communauté à convaincre) votre souci de théoriser l’illisibilité des autres poètes « irréguliers », en sorte d’assurer leur publication (= leur diffusion publique, la diffusion-compréhension de leur illisibilité corrosive) ? Je pense à vos études sur de nombreux contemporains (ou moins contemporains) dans La langue et ses monstres (1989 et 2014), dans Une erreur de la nature (1995) ou Salut les anciens, salut les modernes (2000)…

Intervention de Bruno Fern (par F. Thumerel) 


Bruno FERN, c'est Ici poésie : association des lectures publiques de Caen, à laquelle il participe depuis 2001.
Bruno FERN, c'est « la contrainte faite style », pour reprendre une expression de Typhaine Garnier sur Libr-critique – site auquel il participe du reste comme chroniqueur (il fait d'ailleurs le trait d'union avec Remue.net et un autre site dirigé par un ancien de TXT, Sitaudis de Pierre Le Pillouër).
Portrait par M.-H. Dhénin
Depuis 2007, il a publié 7 livres, dont Des figures (éditions de l'Attente, 2011), Reverbs (Nous, 2014) et Le Petit Test (Sitaudis, 2015).
Marqué par Jude Stéfan qu'il a eu la chance d'avoir comme professeur, l’auteur de Reverbs et du Petit Test – dans lesquels il retraite des matériaux discursifs en se fixant des contraintes, qu’il nomme "machines à fabriquer des grains de sable" – se retrouve dans la conception prigentienne de l’illisibilité : dès lors qu’on s’efforce d’écrire – au sens fort du terme -, s’impose "la fatalité de l’obscurité". C'est pourquoi il prend ses distances par rapport à Oulipo, se méfiant du ludisme et d'une conception de la contrainte comme simple règle du jeu.




 À venir...

Christian Prigent à Lyon. Vendredi 05 Juin, 20h. « Un écrivain dans le monde des revues : Christian Prigent et l’aventure TXT ». Ecole nationale supérieure des beaux-arts, 8 bis quai Saint-Vincent, 69001 LYON. Informations : livraisons.rhonealpes@gmail.com / 06-88-24-20-06.
 
LA VILLE BRÛLE, BERLIN SERA PEUT-ÊTRE UN JOUR
Rencontre avec Christian Prigent (auteur), Patrick Suel (libraire) et Marianne Zuzula (éditrice) autour du livre Berlin sera peut-être un jour de Christian Prigent (éditions La ville brûle, 2015)
Le mercredi 17 juin 2015 à 19 h à l’Institut français de Berlin http://www.institutfrancais.de/…/berlin-sera-peut-etre-un-j…

► On consultera avec intérêt le Fonds Prigent à l’IMEC (Institut Mémoires de l’édition contemporaine).

lundi 18 mai 2015

[Actualité] Le désir de littérature, en somme

Vendredi 22 mai à 20H, Maison de la Poésie, "Le désir de littérature, en somme" (157, rue Saint-Martin 75003 Paris) : Christian Prigent avec Bruno Fern, Bénédicte Gorrillot et Fabrice Thumerel. Dix mois après le colloque international de Cerisy, "Christian Prigent : trou(v)er sa langue" – et trois livres publiés de l’auteur (dont un avec B. Fern et T. Garnier) -, à l’invitation de nos amis de Remue.net, cette rencontre autour de l’écrivain – dont les lectures ponctueront le débat – vise à débattre/échanger sur quelques questions essentielles, à esquisser quelques mises au point et perspectives.
Dans sa contribution à l’ouvrage collectif L’Illisibilité en questions (Bénédicte Gorrillot et Alain Lescart dir., éditions du Septentrion, 2014), "Du sens de l’absence de sens", Christian Prigent opère ainsi la distinction entre le discours philosophique et le discours littéraire :
« L’expérience du sens, on ne la fait pas directement face à la vie qu’on mène mais face aux discours qui nous disent quelque chose de cette vie. Je perçois du sens quand je lis un ouvrage de philosophie, un essai savant, une analyse politique. Et quand je perçois ce sens je perçois généralement aussi ce que son bâti rationnel et la positivité des énoncés qui le construisent ont de décevant. Au moment même où je saisis son sens, je perçois l’inadéquation de ce sens à la façon dont le monde, moi, singulièrement, m’affecte. Autrement dit : la lisibilité du propos me le fait, dans une large mesure, éprouver comme du parler "faux". Et cette épreuve est même sans doute ce qui fait lever en moi le désir d’un autre mode d’approche de la vérité, d’une autre posture d’énonciation, d’un autre traitement des moyens d’expression : le désir de littérature, en somme. »
Une vingtaine d’années après Ceux qui merdRent et Une erreur de la nature, qui dressaient déjà un constat alarmant sur l’état d’un espace social et d’un champ littéraire régis par les sommations de clarté/transparence/lisibilité (comment s’étonner alors de la démission de certains qui écrivaient ?), qu’en est-il de ce désir de littérature ?
Pour Christian Prigent, la réalité n’est pas bandante, toujours recouverte d’oripeaux économiques, médiatiques, politiques ou artistiques, toujours occultée par des paravents idéologiques et culturels : écrire ne peut avoir trait à Éros qu’en déchirant les voiles, en biaisant les discours écrans. Le poète, qu’il écrive en vers ou en prose, est un emmerdReur qui en a marre de positiver avec les pensées-Carrefour et qui rompt donc les amarres avec le monde tel qu’il paraît, brise les -ismes, s’éloigne des isthmes qui le rattachent au plancher du terre à terre. Non pour embarquer vers l’Éther, mais pour viser l’inatteignable point zéro du réel : trouer les chromos, faire déraper les signifiants et les signifiés, et ainsi nous faire jouer/jouir de la langue et ses monstres
Quels sont les monstres de la langue ? Qu’est-ce qui la rend monstrueuse ? Eros, Thanatos… l’impossible, l’innommable, la Chose, le Ça, la folie, le Rien, l’im-monde, le corps, l’âme, le Carnaval, la patmo…
Est monstrueuse toute langue qui excède la Langue, la débonde sans abonder dans son sens ; toute langue dans laquelle le "réel" vient trouer la "réalité", la dé-naturer.

Le poète Bruno Fern, qui a été marqué par son professeur Jude Stéfan, participera au débat et lira quelques-uns de ses textes. L’auteur de Reverbs (Nous, 2014) et du Petit Test (Sitaudis, 2015) – dans lesquels il retraite des matériaux discursifs en se fixant des contraintes, qu’il nomme "machines à fabriquer des grains de sable" – se retrouve dans la conception prigentienne de l’illisibilité : dès lors qu’on s’efforce d’écrire – au sens fort du terme -, s’impose "la fatalité de l’obscurité".

À méditer :
« Nul n'écrit non plus sans que ses lectures n'aient avivé cette perception d'un écart entre ¨réalité¨ et ¨réel¨. Ceux que requiert le travail d'écriture traversent un matériau symbolique accumulé dans la mémoire, le savoir, l'imaginaire : le matériau dont fut fait pour chacun le ¨corps parlé¨ de sa vie. On peut nommer ce matériau ¨culture¨ – si ce terme ne désigne pas qu'un bagage d'us et de savoirs mais le modelage en profondeur de toutes nos configurations intellectuelles, morales, politiques, esthétiques, sensuelles, érotiques » (C. Prigent, La Langue et ses monstres, P.O.L, 2014, p. 254-55).
« Cette part d’opacité inévitable dans l’écriture fait qu’il n’y est question ni d’atteindre un sens univoque (illusion d’une littérature prétendument adéquate au monde) ni un non-sens absolu auquel
se réfère parfois une certaine radicalité pour qui l’affirmation d’un supposé chaos universel justifierait des pratiques où le « désordre » l’emporterait. Il s’agit plutôt, contrairement aux préjugés sur la littérature contemporaine, de « raviver le réalisme » (Christian Prigent, le 11/01/01 à France-ulture.), d’essayer que le texte parvienne à un rendu le plus juste possible de ce qui constitue notre expérience même du fait d’être, c’est-à-dire à la fois des continuités de notre vécu et des multiples événements (liés aux sensations physiques, aux fantasmes, à la mémoire, etc.) qui viennent s’y insérer en permanence et nous plonger dans ce que, dans Au juste (1979), J.-F. Lyotard nommait « l’hétérogène pur », avec ce que cela implique comme confrontations à tout ce qui ne manque pas d’excéder un sujet écrivant dont la disparition élocutoire reste à confirmer. De plus, le langage à notre disposition n’échappe évidemment pas lui-même à cette hétérogénéité qui constitue un fond inatteignable ou, si l’on voit les choses sous un autre angle, une limite indépassable » (B. Fern, texte préparatoire à cette rencontre).

dimanche 12 octobre 2014

[Chronique] Six jours autour de Christian Prigent à Cerisy (1/6)

L'appel traditionnel de la cloche cerisyenne : le colloque peut commencer...



Tandis que, en cet automne, les participants au colloque "Christian Prigent : trou(v)er sa langue" - qui s'est déroulé à Cerisy du lundi 30 juin au lundi 7 juillet 2014 - sont en train de peaufiner leur travail pour une publication des Actes fixée au premier trimestre 2016, voici, en présentations, vidéos, audios et photos, un aperçu précis de ce qui a eu lieu (six posts pour six jours pleins).


© Photos : Françoise Bauduin, Vanda Benes, Mélanie Blondel, Marie-Hélène Dhénin, Typhaine Garnier, Bénédicte Gorrillot, Ginette Lavigne, Fabrice Thumerel et Justine Urru.
* Vidéos : postées sur Daily motion par Vanda Benes, directrice de La Belle Inutile.
* Audios : service technique du centre de Cerisy-la-Salle.

N.B. : photos insolites sur le blog de Françoise Bauduin, Lieux-dits ; reportage photo et vidéos sur le blog La Belle Inutile.

MARDI 1er juillet 2014

Ouverture du colloque

Bénédicte GORRILLOT, "Histoire d'un colloque : pourquoi plutôt la langue ?" [écouter]

Fenêtre ouverte : vues sur PRIGENT...

Séance 1 - Le réelisme de Christian Prigent

* La Voix de Christian Prigent : "Ce que m'a dit l'ange", Une phrase pour ma mère.



Lecture de l'auteur, avant la première conférence (F. Thumerel)

* Fabrice THUMEREL, « Réel : point Prigent. (Le réalisme critique dans la "matière de Bretagne") »

Dans la première version de L'Incontenable (P.O.L, 2004), intitulée Réel : point zéro (Weidler Buchverlag, Berlin, 2001), Christian Prigent formule cette définition qui a fait date: "J'appelle 'poésie' la symbolisation paradoxale d'un trou. Ce trou, je le nomme 'réel'. Réel s'entend ici au sens lacanien : ce qui commence 'là où le sens s'arrête'. La 'poésie' tâche à désigner le réel comme trou dans le corps constitué des langues". Et de compléter cette conception négative du travail poétique entendu au sens large du terme, c'est-à-dire par delà les frontières entre les genres institués : "la poésie vise le réel en tant qu'absent de tout bouquin. Ou : le réel en tant que point zéro du calcul formel qui fait texte" (p. 11). En milieu prigentien, ce réel-point zéro qui constitue le point d'asymptote de la poésie et de la référentialité a pour nom Dieu, Nature ou corps : innommable, le réel n'existe qu'en langue (réel-en-langue) ; inatteignable, ce point zéro rend paradoxal tout réalisme - l'objectif visé se dérobant sans cesse (et c'est ce ratage même qui constitue l'écriture). Il s'agira ici d'étudier la façon dont l'ôteur, dans les fictions ressortissant à la "matière de Bretagne" (Commencement, Une phrase pour ma mère, Grand-mère Quéquette, Demain je meurs et Les Enfances Chino), dépasse l'antinomie entre formalisme et expressionnisme pour aboutir à un réalisme critique qui consiste à ne pas prétendre appréhender directement la réalité sociale ou l’expérience humaine, mais à la viser obliquement ; la façon dont il troue les discours pour trouver une langtourloupe faite de phrasés scriptosensoriels et de dérapés carnavalesques. /FT/

- La discussion a porté sur les dimensions dialectique, mathématique et physique du zéro ; sur l'équilibre des contraires dans cette écriture ; la dialectique entre dérobade et recommencement, sublime et trivial...


Avec le sourire, les secrétaires sont en place : Justine Urru et Mélanie Blondel.

Séance 2 - La langue de la division : torsions, excès

* La voix de Christian Prigent : "L'Écriture, ça crispe le mou", in Commencement ; "104 slogans".

* Chantal LAPEYRE-DESMAISON : Ratages et merveilles : le geste baroque de Christian Prigent

Ratage et réussite, grâce et laideur sont des termes difficiles à manier 
quand on parle de littérature (Christian Prigent, Ne me faites pas dire ce que je n'écris pas
Entretiens avec Hervé Castanet, Cadex, 2004, p. 125).

"Le réel n’est pas pour lui ce qu’on figure - mais ce qui défigure", écrit Christian Prigent à propos de Daniel Dezeuze, dans Rien qui porte un nom. De cette défiguration toute son œuvre porte trace ; cette communication vise à en suivre la manifestation dans deux textes inclassables et une fiction, liés par un souci commun de dire le réel de l’amour et du sexuel : "Roue, roue voilée, roue en huit", paru dans Figures du baroque (Jean-Marie Benoist dir., PUF, 1983), Deux Dames au bain avec portrait du donateur (L'Un dans l'Autre, 1984), et dans la fiction Le Professeur (Al dante, 1999). Les deux premières œuvres sont présentées explicitement comme des ratages par Christian Prigent, nés du nécessaire affrontement à deux impossibles (comme deux visages du même), incessamment convoqués dans l’œuvre du poète: l’impossible à voir - que reconduit la peinture - et l’impossible à dire - au cœur de la création littéraire. Cette expérience singulière confère aux œuvres, aux genres, aux "postures d’énonciation" qui acceptent d’en témoigner une étrange torsion. La confrontation, pleinement assumée comme telle, à l’irreprésentable du représenté, à l’indicible du dire, le réel, à la fois cause et objet, seraient-ils les noms du baroque aujourd’hui, permettant de repenser ainsi ce concept au-delà de toutes les querelles historiennes et esthétiques qui l’ont révoqué en doute ? /CLD/

- Suite à cette communication qui se voulait un dialogue avec Hervé Castanet - malheureusement absent -, les débats se sont concentrés sur le réel comme infini déploiement du ratage verbal, l'art du ratage, l'économie de la jouissance, les liens entre les deux textes retenus de Prigent...

Séance 2 : à droite de la présidente de séance Bénédicte Gorrillot, Chantal Lapeyre et Dominique Brancher.


* Dominique BRANCHER : Dégeler Rabelais. Mouches à viande, mouches à langue dans l'œuvre de Christian Prigent

Il s’agira de lire Prigent à travers Rabelais et Rabelais à travers Prigent, faisant à chacun porter le masque de l’autre pour les faire dialoguer sur une scène carnavalesque où le masque peut se faire braguette, "outre la grandeur naturelle [de leurs pièces]" (Montaigne), ou toque magistrale. Car chez l’un comme chez l’autre "le savoir le plus poussé" côtoie la "trivialité [la plus] obscène" (Ceux qui merdRent) : il faut autant y saisir ce que le badinage comporte de gravité qu’y lire à "plus bas sens" la jactance spiritualiste. On peut hésiter cependant sur la nature du masque prigentien - s’agit-il du discours tenu sur Rabelais, figure iconique d’une pratique excessive de la langue qui désigne comme innommable le réel qui l’excède ? Ou s’agit-il d’une pratique d’écriture, souvent qualifiée de rabelaisienne par la critique, alors même que Prigent entretient avec Rabelais une relation d’ordre essentiellement "fantasmatique", selon son propre terme ? Il affirme en effet l’avoir très peu lu, sort réservé aux auteurs qui lui plaisent "trop" (Une erreur de la nature). Ne pas lire, dans la perspective prigentienne, c’est peut-être lire en creux un texte pour ce qu’il n’arrive pas à dire et qu’il désigne comme son impossible, c’est pratiquer une lecture excessive, outre-texte, parfois médiatisée par d’autres regards critiques. Ainsi le Rabelais de Prigent a-t-il d’abord été celui de Bakhtine. On s’intéressera à la résurrection de Rabelais par Prigent et au déplacement de Prigent sous la poussée rabelaisienne, entre mémoire, fantasme et invention. On envisagera ce trouble sous le double aspect du parler caca et du parler cochon./DB/

- Dans la discussion, ont été abordés le rapport entre saturation baroque et saturation carnavalesque ; la rhétorique du circum ; les rapprochements possibles entre mouches à viande / à langue et la mouche du coche (Maupassant), le rimbaldien bourdonnement farouche...

Soirée - Lecture de Christian Prigent (écouter)